mardi 28 janvier 2020

Les archives parlent 4 : Les plans originaux de l'orgue N&B

Grâce à la Cadbury Research Library qui préserve les British Organ Archives, les fonds de nombreux facteurs d'orgues ont pu être sauvés à la disparition de l'entreprise.

Notamment les documents d'archive de Norman & Beard.
Il a donc été possible de récupérer des numérisations de la page du carnet de commandes et des plans d'origine de l'orgue.
Carnet de commandes de l'année 1913.
Rédigé à la machine à écrire, sans
doute gage de modernité à l'époque.
On apprend donc que l'orgue a été construit dans la première moitié de 1913, avec quelques jeux et le clavier de Choir "prepared for", c'est à dire prévus, leur place préparée, mais pas installés. La commande a été passée le 7 janvier 1913, et l'orgue livré le 28 juin de la même année !! Des délais impensablement courts aujourd'hui. Mais quand on a presque 300 employés, et que 70 à 100 orgues sortent des atelier chaque année, le rythme n'est pas le même.

Plan général de l'orgue, vu depuis le chœur de l'église.

Plan général de l'orgue, vu de dessus, la façade principale
(donnant sur le chœur) pointant vers le bas.
Plan général de l'orgue, vu de côté.
La façade principale apparaît en coupe à gauche.
Il n'est vraiment pas courant de pouvoir retrouver les plans d'origine d'un orgue, et c'est une grande chance d'avoir pu en obtenir une copie.
Premier projet de façades, nettement plus ouvragées.
Dessins des façades finalement réalisées.
On voit les modifications apportées aux proportions des
tuyaux de la petits façade au fur et à mesure du projet.
Détail du plan de la façade principale.
Note demandant aux atelier de fournir un décalque (rubbing) de la pièce triangulaire
supportant les tuyaux de la tourelle centrale, ainsi que le diamètre de chaque tuyau.
La politesse d'antan n'est pas un mythe...
Courtesy of Cadbury Research Library, British Organ Archives, ref. 5472.

dimanche 26 janvier 2020

L'orgue Norman & Beard de l'hôtel de ville de Johannesburg

Cet instrument, le dernier sorti des ateliers de Norwich, a déjà été mentionné dans cet article sur la vie dans les ateliers au début du XX° siècle.
Cet orgue fut le sommet de la production de cette entreprise, à la fois en taille, en diversité des jeux et en accessoires disponibles. Élaboré sous la supervision de l'organiste Alfred Hollins, la construction en a été confiée à Norman & Beard pour la somme de 8000 livres sterling à l'époque.
Vue générale du buffet.
Sept divisions : Pedal, Great, Choir, Swell, Solo, Orchestral et Bombarde, ces deux dernières flottantes, jouables sur n'importe lequel des quatre claviers permettaient de jouer 97 jeux composés de 6035 tuyaux, plus quelques percussions harmoniques. Des appels par catégories (principaux, flûtes, gambes, anches), de nombreuses combinaisons et accessoires pour faciliter le jeu de l'organise.
C'était le premier orgue d'Afrique, et le second orgue de l'hémisphère sud en taille (près l'hôtel de ville de Sydney), et probablement un des plus avancés techniquement et musicalement de son époque.
Construction d'un tuyau du Double Open Diapason 32', dans les ateliers de Norwich.
Une description, assortie d'une comparaison avec d'autres instruments similaires et un bref historique sont disponibles ici, pour les organophiles anglophones :  https://www.albany.edu/piporg-l/JCH.html

La console Norman & Beard.
L'organiste Alfred Hollins, d’Édimbourg, consultant ayant supervisé
la conception et la réalisation de l'orgue, aux claviers.
Les photos peuvent être trouvées en meilleure définition, un certain nombre d'autres photos, la composition et les détails techniques complets également (en anglais...) ICI.

lundi 13 janvier 2020

Les archives parlent 3 : Portraits

Voici trois portraits des fondateurs de Norman & Beard Ltd, Ernest William et Herbert John Norman, ainsi que George Wales Beard. Il me faut  remercier chaleureusement M. John Norman, consultant ès orgues et petit-fils d'un des fondateurs de Norman & Beard, pour ces documents.

Les deux premiers sont extraits d'une brochure éditée à l'occasion de la reconstruction de l'orgue de Doncaster en 1910. Le second est une brochure publicitaire des mêmes années. On notera le nombre et la localisation des "branches" de l'entreprise.






dimanche 12 janvier 2020

Les archives parlent 2 : Le souvenir de Norman & Beard

Manufacture Norman & Beard Ltd. St Stephen's gate, Norwich.
Construite en 1898, et où furent construit plus de mille orgues jusqu'à son arrêt en 1916.
Herbert Norman était le fils de Herbert J. Norman, un des trois fondateurs de Norman & Beard Ltd. Dans un article à la revue « The Organ Journal » des années 80, il raconte l’histoire de la famille Norman après avoir évoqué ses souvenirs personnels d’apprenti parcourant les ateliers régis par son père « H.J. » et son oncle Ernest William « E.W. » .


Mes souvenir et mes premières expériences de facture d’orgues remontent à 1912, quand je passais mes jeudi après-midi, libéré de l’école, dans les ateliers de Norman & Beard, à St Stephen’s Gate, Norwich. J’ai fréquenté ce lieu jusqu’en 1916, lorsqu’il fut abandonné après avoir terminé le grand instrument de concert construit pour la mairie de Johannesburg. J’ai ainsi pu m’imprégner de l’atmosphère studieuse et de l’essence même de ce qui fut le lieu de naissance de plus de mille orgues au cours des dix-sept années écoulées.

En ces temps-là, la semaine de travail durait soixante heures, de six heures du matin le lundi à quatorze heures le samedi. Le rythme y était calme, laissant le temps de pourvoir à la formation des apprentis et de garder son espace de travail en bon ordre. Même payé à la pièce (et les employés de N&B ne l’étaient pas!) il était fondamental de prendre le temps de garder son établi et ses abords propres et dépourvus de toute poussière ou tout copeau, si néfastes à la construction des éléments des tractions pneumatiques !

Je me souviens avec gratitude du contremaître de l’atelier des tuyaux de bois, M. Stannard m’apprenant à affûter les fers de ses rabots, et le contremaître de l’atelier de peinture, M. Moffat guidant ma main dans l’art délicat de dorer à la feuille les bouches des tuyaux de façade. Je n’avais pas le droit de toucher aux tuyaux, mais j’accompagnais mon père l’après-midi dans son inspection des ateliers d’harmonisation des fonds, des anches et même des diaphones.
Premier Do et premier Ré de la Claribel Flute du Great,
issue de l'atelier dirigé par M. Stannard.



En 1898, les ateliers de Norwich étaient les plus étendus et les plus avancés du moment, devançant même Willis et ses excellents ateliers de la Rotonde (« The Rotunda ») à Chalk Farm (Londres). L’atelier central était un large bâtiment sans autre division qu’une large coursive courant sur trois côtés. Dans cet espace, chaque pièce de bois était construite et assemblée, à la vue des presque trois cents employés. La plupart du temps, s’y trouvaient trois instruments à divers stades de complétion, allant jusqu’à être jouables.

Non loin de là, une annexe contenait une énorme scie mue par un moteur à gaz, qui découpait au format requis les pièces de bois au préalable débitées grossièrement dans la scierie de la réserve à bois. Un tramway à rails étroits livrait le bois et les lingots de métal aux divers ateliers et jusqu’aux deux ateliers de coulage des feuilles pour les tuyaux. Dans une annexe similaire, le maître ès peintures produisait des peintures et des vernis à partir des composants : rien n’était acheté « tout fait ». C’est là qu’ont été produits des hectolitres de la couleur rouge-brun typique de la production d’E. W., tout au long de sa carrière.
Tuyaux de Bourdon revêtus du rouge-brun typique Norman & Beard.

Les tuyaux d’alliage et de zinc étaient produits aux étages supérieurs d’un haut bâtiment qui aujourd’hui encore marque le profil de la ville. Là, les frères Lance et Percy Bush dirigeaient une vaste équipe de tuyautiers principalement formés dans l’entreprise, comme eux. Plus tard ceux-ci essaimeraient dans la plupart des ateliers de tuyauterie britanniques des années 20 et 30.
Premier Do du Principal 4, portant la note (CC), le nom du jeu (PRINcipal), le clavier (GreaT),
le numéro de série de l'orgue (1287) et le nom du tuyautier (C. Willis, rien à voir avec Henry).
Plus tard probablement harmonisé par M. Dawson.
Au rez de chaussée se trouvait l’immense magasin des vis et pièces détachées, régi par Walter Hall et ses jeunes assistants, qui faisaient en sorte que personne n’aie à attendre pour des pièces et qui dans leur temps libre récupéraient toutes les vis égarées au sol en passant de gros aimants dans tous les recoins. Dans une section vitrée, plus d’une dizaine de jeunes femmes s’activaient à sélectionner, couper et assembler des milliers de moteurs pneumatiques à partir de peau d’agneau sciée. Elles les assemblaient en modules pneumatiques plus tard intégrés aux sommiers ou aux consoles des orgues, dans une atmosphère aussi dépourvue de poussière que possible – presque une salle blanche- selon les exigences du patron « E.W. ».
Moteurs pneumatiques dans le sommier du Swell. le premier (plus petit) mis en pression ferme la soupape ronde visible derrière et ouvre la même côté pression atmosphérique. Le plus gros moteur se trouve à pression atmosphérique et est écrasé par la pression dans le sommier, tirant avec lui la soupape de note.
Les bureau administrant tout ce monde se situaient derrière la façade de brique d’aspect moderne dessinée par Skipper, un architecte local d’une certaine renommée, et faisaient face à la vieille gare « Victoria Station ». De la rue, on pouvait entendre le bruit des différents ateliers d’harmonisation et de l’unique machine à écrire. Il y avait un unique téléphone, situé dans le bureau du secrétaire de la compagnie, Llewelin Simon. D’un autre côté se trouvaient les hauts bureaux, hauts tabourets de clercs (typique des secteurs comptables et bancaires de l’époque) et les lourds registres du bureau régi par le caissier, M. Borrit. Un jeune assistant était préposé à l’impression des papiers à lettre en utilisant une petite presse et un procédé assez moite et salissant.

A l’autre bout du bâtiment se trouvait le vaste bureau d‘étude, avec ses quatre tables à dessin de six mètres de long sur lesquelles tout était planifié et rien laissé au hasard. Sous l’autorité du chef dessinateur Parker et la supervision du responsable traction et console, Ernest Sayer.

A l’étage se trouvaient les deux petits bureau simplement meublés des deux frères « M. Herbert » et « M. Ernest ». Pas de téléphone un simple tube acoustique vers le bureau d‘étude et le bureau du secrétaire Simon, juste en-dessous. Wales Beard quant à lui, travaillait dans un bureau purement commercial situé sur Berners street à Londres.

Autour et entre les bureaux des deux frères se trouvaient cinq ateliers d’harmonisation. Il y avait M. Beech, qui était spécialisé dans l’harmonie des jeux gambés, il était également le dessinateur de précision, et il m’a initié à l’utilisation des crayons 4H. Dawson s’occupait des flûtes et des diapasons, et le jeune Bob Lamb des jeux aigus et des mixtures.
 
Fifteeen 2 et dessus de la Wald Flute 4, probablement harmonisés
par Bob Lamb et M. Dawson, respectivement.

M. Walker était l’harmoniste en chef pour les anches et Gunther son assistant. Les Violes et les gambes « poussées » étaient la spécialité de M. Crosby. 
Tuyauterie du Swell, où l'on voit les jeux très étroits : Viole d'Amour et Voix Céleste,
probablement harmonisés par M. Crosby. Et au premier plan le Cornopean, passé par l'atelier de Walker.

Mon père fédérait ces hommes en un équipe, leur rendant visite deux fois par jour, établissant avec eux le timbre et la puissance de chaque Do, établissant ainsi sa conception sonore de chaque instrument. Ces hommes allaient aussi parachever l’harmonie sur place pour les plus gros chantiers, ce qui leur donnait une expérience considérable au fil des ans. Les finissions des instruments plus modestes étaient généralement faites par les accordeurs de la compagnie, des hommes très expérimentés eux aussi, et basés dans les différentes villes du pays.
Trumpet 8, Open Diapason 8, Double Trumpet 16 et Hautboy 8
(orgue de St Mellitus, Hanwell). Anches probablement passées
par les mains de MM. Walker et Gunther.
Chaque atelier d’harmonisation avait un mannequin (petit orgue) à traction mécanique d’un clavier pouvant porter quatre ou cinq rangs de tuyaux, avec un rang de Principal 4 relié pneumatiquement pour référence. Marches d’ébène, feintes de buis, et pompage au pied. Tout ceci était considéré comme un prérequis nécessaire à la bonne préparation des tuyaux. La machine pour l’harmonie des anches avait aussi un petit sommier Roosevelt de six notes pour tester l’attaque des tuyaux sur des systèmes moins nets en termes d’ouverture des soupapes. Bob Lamb avait commencé sa carrière chez Robert Hope-Jones, et participé à d’étranges expériences sur l’harmonie des tuyaux. […]
Il m’a appris à construire des Lieblich Flutes (tuyaux bouchés à bouche hautes avec une attaque en « plop » assez caractéristique), en utilisant des tuyaux larges et ouverts, adéquatement pavillonnés. Ceux-ci tiennent bien mieux l’accord dans les climats difficiles [n.d.t. : N&B exportaient partout dans les colonies britanniques, y compris en Australie, Afrique du Sud, etc.] C’était un expert pour le calcul des longueurs de tuyaux, et les dimensions d’une quinte harmonique à cheminée ne lui faisait aucunement peur.

L’administration générale des ateliers était le fait de Jimmy Jones, dans son bureau vitré, sur une coursive en vue de tous. Plus tard, il devait quitter Norwich pour retourner dans le nord du Pays de Galles, et devenir banquier.

Chemise blanche et tablier blanc composaient le costume traditionnel des ouvriers. Cela constituait une vue saisissante dans la lumière blanche de l’éclairage au gaz (unique à Norwich!). Lequel éclairage s’avérait un moyen de chauffage très appréciable à six heures du matin en hiver.

Tuyauterie sur son sommier.
La rangée laissée libre servira à l'installation
d'une mixture trois rang neuve en copie d'une d'époque.
Ernest Norman dirigeait la conception structurelle et mécanique, et supervisait lui-même in situ les réglages cruciaux pour les chantiers importants. Pour chaque instrument « E.W. » rédigeait une fiche de spécification technique, détaillant les tailles minimales des sommiers, réservoirs, portes-vent, bois de structure, etc. ceux-ci guidaient le bureau d‘étude pour établir les premières ébauches. Les tailles de la tuyauterie étaient extraites d’un recueil rédigé à cet effet par « H. J. », établissant les tailles minimales pour chaque jeu, calculées selon les conditions acoustiques et la taille du bâtiment accueillant le futur orgue.

Une acoustique favorable (i.e. réverbérante) et/ou un emplacement « ouvert » pouvaient diminuer les tailles jusqu’à trois demi-tons par rapport au « standard ». Cette organisation permettait d’éviter au bureau d’étude d’avoir à attendre que H.J. Norman ait été inspecter l’église
en personne et ait pu rédiger les instructions pour l’atelier des tuyautiers. Les tailles finales choisies étaient écrites en rouge sur la liste des jeux, spécifiant les tailles des basses et des dessus séparément, le métal à employer, la largeur de bouche, la méthode d’accord et toute différence avec les standards de la maison.

Les dessins étaient réalisés à l’échelle d’un demi pouce par pied, sur le meilleur papier fort possible, et colorés à l‘aquarelle. L’apparence avantageuse de ces dessins était source d’une grande fierté dans la compagnie. Plus tard, E.W. Norman m’inculqua l’importance de dessins aussi soignés et précis pour que les ouvriers les respectent et les suivent.

Les orgues d’occasion récupérés n’avaient pas droit de cité dans l’atelier, contrairement à l’usage de ces années là. Un magasin spécial au rez de chaussé les stockait démontés. Le responsable du stock de bois, « Paddy » Benson, en a restauré un grand nombre de façon parfaitement présentable, et les revendait sous son nom ou en association avec le nom de la compagnie. Tout ce qui n’avait pas été réemployé au bout d’un an était fondu ou brûlé.

Je n’ai pas souvenir de la construction des buffets, excepté les buffets des petits orgues « Norvick » d’un clavier, produits en grand nombre et offerts par la Fondation Carnegie aux petites églises d’Ecosse.

On ne peut pas douter que les standards artistiques étaient la principale préoccupation des frères Norman, malgré la pression du marché pour réaliser des économies d’échelle toujours plus grandes. Il était de notoriété dans le milieu des la facture d’orgues que Norwich payait entre 5 1/2 et 6 pence par heure, plus que les manufactures londoniennes elles-même !

Histoire de la famille Norman :

La famille Norman descend de huguenots français, tisserands spécialisés dans la soie. Au XIX° siècle, William Norman et son fils, William II, sont menuisiers à Marylebone (quartier au nord ouest de Londres). William II s’intéresse à l’orgue et s’en construit un dans le meuble d’un piano droit. Ce qui lui vaudra d’être embauché comme apprenti chez Walker. Plus tard, il travailla chez T.C. Lewis à Clapham. Souffrant de consomption, il dû déménager à Diss dans le Norfolk [n.d.t. : ne pas oublier que l’atmosphère de Londres au XIX° siècle devait être à peine respirable à force de charbon et de bois brûlés par l’industrie naissante].

Son fils aîné, Ernest William, devint un apprenti sous contrat chez Walker, mais ne servit que trois ans. Impatient d’être initié à l’harmonie des tuyaux, mais se le voyant refusé constamment, il passa une semaine assis sur son établi pour protester. Il fut finalement renvoyé pour rupture de son contrat d’apprentissage. Il tourna le dos à Walker et l’établit en tant que « E.W. Norman, facteur d’orgues à Diss » vers 1868.

Après quelques années, il fut rejoint par son jeune frère Herbert, âgé de douze ans, et un apprenti Wales Beard. Ensemble, ils établirent une florissante clientèle d’accords et d’entretiens. George Wales Beard était plus intéressé par l’aspect commercial, et une fois devenu un associé – sous le nom de Norman frères et Beard – il ouvrit un bureau de ventes et magasin de musique à Beccles.

L’entreprise se développa rapidement dans les années 1880, et on peut trouver une réclame les situant à une adresse dans Norwich et se proclamant « accordeurs de la cathédrale ». Ils déménagèrent dans de nouveaux locaux, furent parmi les premiers à s’établir en société à responsabilité limitée : Norman & Beard Ltd. Peu de temps après, ils s’établirent dans une grande usine construite sur mesure à St Stephen’s Gate, Norwich.

Mon père, Herbert John Norman, prit en charge la partie harmonie et accord de l’entreprise. Ses premières conceptions étaient basées sur l’expérience de son propre père chez Walker et Lewis. Une rapide progression des tailles dans les basses était une caractéristique de Walker, et une progression plus modérée dans les dessus, donnant un son plus chaud aux aigus, était un attribut typique de chez Lewis. Plus tard, ces progressions furent partiellement abandonnées pour la plus classique division du diamètre par deux toutes les 17 notes. Au contact du travail de Schulze à Doncaster, il fut très attiré par cette école, à tel point que pour l’orgue de Haley Hill à Halifax, il construisit une quasi-copie de Schulze. Avec la croissante popularité des anches rondes et sombres produites par Harrison & Harrison, il discutait souvent avec moi de la difficulté d’établir un plenum qui puisse se marier avec ces anches, alors que toute proéminence du quatrième harmonique (n.d.t. : la tierce ?) crée un grésillement désagréable.

Aux apprentis harmonistes il disait : « tout le monde peut apprendre le procédé mécanique de l’harmonisation d’un rang de tuyaux, mais il faut être un artiste pour parvenir à harmoniser deux sons dont le mélange soit musicalement acceptable». Quand au début des années trente, nous construisîmes un orgue utilisant des tuyaux de chez Herman Eule [n.d.t. : un des premiers essais d’orgue « à l’ancienne »], il fut dérouté par les chuintements irréguliers de cette tuyauterie, mais ravi par les combinaisons quasi-infinies des couleurs.

Le système de transmission pneumatique à dépression était unique à Norman & Beard. Bien que décrié par tous leurs concurrents, celui-ci fut largement copié dans toute l’Amérique du nord, du fait de sa grande résistance aux extrêmes climatiques. Mon père ne l’a pas inventé, mais raffiné sur la base d’une version rudimentaire trouvée dans un orgue de barbarie italien. En 1888, le concept était arrivé à maturité, et la dernière traction de ce type fut construite en 1958 pour l’église paroissiale de Brighton.
Quand Robert Hope-Jones partit pour l’Amérique, Norman & Beard acquirent ses brevet de traction électrique, et l’utilisèrent en copie exacte jusqu’en 1926, où il fut remplacé par le système américain de Votey.

Quand éclate la première guerre mondiale, presque tout le personnel de Norman & Beard, essentiellement composé de jeunes hommes, partit pour le front. Et après la complétion de l’orgue du Town Hall de Johannesburg, la production devint impossible. De ce fait, un contrat fut établi avec le Dr Arthur Hill, directeur de Hill & Son, pour regrouper les restes de Norman & Beard avec le personnel assez âgé de Hill & Son, afin d’honorer les tournées d’accord et d’entretien des deux entreprises, qui totalisaient à elles deux pas moins de dix mille visites d’entretien et accord par an. Et l’usine de Norwich fut définitivement fermée, après dix-sept ans d’activité intense et plus de mille orgues produits.