dimanche 28 mars 2021

La resconstruction de l'orgue par Maucourt


 Comme on l'a déjà vu, l'historique de l'orgue de Saint Affrique est assez mal documenté avant 1899.

On sait cependant que Thiébaut Maucourt l'a reconstruit en 1870.

En-tête de correspondance de Maucourt.

Hélas, comme pour l'orgue Moitessier, on ne sait guère plus de cet instrument. On ne possède aucun dessin ni aucune photo de son buffet. On peut supposer que l'orgue avait une apparence plus classique que néo-gothique car au moment de la reconstruction en 1899, monsieur Barthe l'organiste écrit au facteur d'orgues que "Quand on dépense cinq cent mille francs pour une église, il ne faut pas gâter un tel monument en y mettant une vieillerie qui n’est pas du style de l’église...". On peut se donner une idée des buffets de style classique construits par Maucourt dans ces années-là en observant celui de Brens (Tarn). On possède néanmoins sa composition, grâce aux relevés de Théodore Jacquot fils en 1898 (voir plus bas).

Orgue Maucourt de Brens (Tarn)


Console de Brens, avant relevage

Le Journal du Tarn du 29 mai 1872 nous permet cependant d'en apprendre un peu plus sur l'instrument : "Demain jeudi 30 mai 1872 a lieu l'inauguration de l'orgue de l'église paroissiale de Saint-Affrique, restauré à neuf par Thiébaut Maucourt 'Albi, élève de la maison Cavaillé-Coll de Paris. L'orgue sera tenu par M. Leybach, organiste de la cathédrale de Toulouse." (Médiathèque municipale d'Albi)

Le même journal, en date du samedi 8 juin, relatait "la fête musicale et religieuse" que fut cette occasion, et précisait : "En confiant au jeune artiste [Maucourt a 37 ans] la restauration de ses orgues, la fabrique lui avait fait connaître qu'elle désirait une restauration sérieuse, avec addition de nouveaux jeux, modification du mécanisme [...] Il était impossible de ne pas accorder une mention spéciale à la Gambe, à la Voix céleste, à l'Octavin et au Cor anglais." Le rédacteur avait puisé ses renseignements "aux meilleures sources", c'est à dire M. Leybach.

Cet instrument a survécu tel quel jusqu'en 1895, date à laquelle le fond de l'ancienne église a été  démoli pour faire place à la nouvelle. L'orgue fut alors démonté par les Puget de Toulouse et stocké dans une chapelle. Il semble que le stockage ou le transport des pièces à la nouvelle église en 1899 n'ait pas été très soigneux. En effet, Auguste Jessel, l'employé de Théodore Jacquot venu déplacer l'orgue de choeur dans la nouvelle église jette un œil à la tuyauterie du grand orgue, maintenant entreposée à la nouvelle tribune, et rapporte dans un courrier à son patron que "tous les tuyaux de bois sont décollés, gondolés, et que les tuyaux d’étain sont pêle-mêle, les pavillons des anches tous aplatis, comme bien d’autres tuyaux et qu’il y aura pour un mois et demi de travail en atelier pour tout redresser". Un bien triste traitement pour ce qui devait être un très bel instrument.

Thiébaut Maucourt (1835-1882)


Grâce au relevé effectué par Théodore Jacquot fils en 1898, on en connaît cependant la composition :  :


Grand OrgueRécitPédale
Salicional 16 (Ut3)Flûte 8Bourdon 16
Montre 8Gambe 8Flûte 8
Salicional 8Voix Céleste 8 (Ut2)Bombarde 8/16
Bourdon 8Bourdon 8Trompette 8
Prestant 4Octavin 2
Nasard 2 2/3Euphone 8
Doublette 2Cor Anglais 8
Plein JeuTrompette 8 (Ut2)
Cornet V (Ut3)Hautbois 8 (Ut2)
Trompette 8Voix Humaine (Ut2)
Clairon 4


Thiébaut MAUCOURT est né à Thann le 1er février 1835 à l’ombre de la collégiale Saint-Thiébaut. Son père était mécinicien (peut-être dans la facture d'orgues ?).Très jeune, vers 1844-1845, il commence son apprentissage dans la célèbre maison Cavaillé-Coll de Paris, où il est resté apprenti puis compagnon durant dix-huit ans. Les informations le concernant ne sont que très fragmentaires. Il semble rester chez Cavaillé-Coll pendant 18 ans. En 1862 on retrouve sa trace à Saint Affrique où il se marie avec Alice Fages, fille d’un riche marchand de grains qui lui donnera un fils et quatre filles. Un autre facteur d’orgues originaire de l'est de la France et implanté à Toulouse depuis 1845, Frédéric Junck (ou Jungk), lui sert de témoin. Cette même année, un premier orgue sort des ateliers Maucourt, construit en collaboration avec Frédéric Jungk et installé à Nant (Aveyron, orgue hélas mutilé dans les années 80 sous couvert de restauration et d'améliorations). Maucourt s’établit à Albi, d'abord boulevard Montebello, puis boulevard Magenta.




Il a effectué différents travaux, entre autres sur les orgues de Nant (Aveyron, 1862), Brens (Tarn, 1864), Castelnaudary (St. Michel, 1864), Gaillac (St. Pierre, 1865), Lezat (Ariège, 1867), Sorèze (Tarn, 1868), St Félix (Haute-Garonne), à la cathédrale d’Albi (restaurations du grand orgue et orgue de chœur neuf), à Millau (Notre-Dame, 1874 et temple protestant, 1881), Lisle sur Tarn (Notre Dame de la Jonquière, 1880), à Carmaux, Alger (St. Augustin). Tous les travaux de Maucourt se caractérisent par leur très bonne qualité. Ses instruments sont toujours entièrement mécaniques avec une harmonisation fine et délicate. Il est décédé à Albi le 27 janvier 1882 âgé de 47 ans.


Note : cette brève biographie de Maucourt est basée sur le travail de Robert Ardourel, publié dans un article paru dans la revue L'Orgue dans les années 80 et dans son livre "L'Orgue de Notre Dame de Millau" publié en 1975. Qu'il en soit ici remercié ! Monsieur Ardourel a pu consulter des archives de T. Maucourt grâce à Mme Marcelle Trutteau de Paris, petite-fille de Thiébaut Maucourt. Il ne nous a a pas été possible de localiser la famille de cette dame pour consulter ces archives à nouveau. Toute information à ce sujet serait bienvenue !

 


Le premier orgue de Saint Affrique

 Le premier orgue de l'église de Saint Affrique reste pour le moment assez mal connu. D'autant plus que les archives de la paroisse sont très rares avant 1869.

Dans un devis établi en 1845 pour l'église St Antoine, rue Pharaon à Toulouse, Moitessier mentionne plusieurs orgues de sa construction. Dans la liste, on lit : "1843, orgue grand 8 pieds à trois claviers pour l'église de St Affrique (Aveyron)". Il s'agissait donc d'un orgue similaire (sans doute un peu plus modeste)  à celui de la Décanale St Louis de Sète, construit l'année suivante.

Extrait du Devis de Moitessier pour St Antoine de Toulouse en 1845.
 

Monsieur Robert Ardourel, organiste au Sacré Coeur de Millau, a établi la fiche de l'inventaire pour cet orgue dans les années 1980. Étant familier l'orgue de Moitessier de Sète, confirme que la tuyauterie ancienne est similaire.

Signature de Prosper Moitessier en 1827

 

Les Archives Départementales de l'Aveyron nous ont transmis quelques pièces qui permettent de visualiser la disposition de la tribune ouest de l'ancienne église.

En-tête de correspondance de Moitessier dans les années 1840
 

En effet, on y trouve un devis de construction d'une tribune supplémentaire au fond de l'église datant de juillet 1842, avec un plan (voir image). Il semble que la seconde tribune projetée ne fut jamais construite, puisque l'orgue sera installé sur celle du bas l'année suivante. Il se peut que l'instrument n'ait pas été placé en tribune, pour ne pas masquer la belle rosace, mais cela serait surprenant

 

Projet de tribune suppléentaire joint au devis de 1842.

Au passage, on apprend dans les quelques documents trouvés aux Archives Départementales de l'Aveyron que l'église a souffert d'un incendie en 1826, et que la paroisse était très pauvre, formulant de nombreuses demandes de secours auprès du ministère qui n'ont abouti qu'en 1867, et de façon très limitée.

De plus on lit dans le devis de 1842 que l'église était bien trop exigüe pour la population catholique de la ville à cette époque, et que depuis longtemps déjà la mairie et la fabrique cherchaient un moyen de la reconstruire à des dimensions plus adaptées, mais en vain. Il aura donc fallu attendre plus de cinquante ans pour voir ce projet se réaliser. 

Note : il ne nous a pas été possible jusqu'alors de trouver des archives de Prosper Moitessier. Il semble que cet excellent facteur ait laissé très peu de traces écrites, à part ses brevets d'invention. Nous serions reconnaissant de tout indice qui nous permettrait de consulter de telles archives !

      Prosper-Antoine MOITESSIER est né à Carcassonne (Aude), en 1807.
Ayant perdu son père à l’âge de dix ans, sa mère, pour le mettre à même d’apprendre et de continuer l’état de luthier, l’entoura de bons ouvriers. En 1819 et 1820, il reçut les premières notions de facture d’orgues d’un nommé
Pilot, natif des Vosges. Désirant se perfectionner dans cette partie, il se rendit à Mirecourt et travailla d’abord chez Nicolas Roy, l’un des plus habiles ouvriers du pays, et il alla ensuite à Paris, où il fut reçu dans les ateliers de M. Lété, actuellement à Mirecourt. Il prit aussi des leçons de M. Wuillaume, qui s’est acquis une grande réputation comme luthier, et qui était alors associé de M. Lété.
En 1826, il quitta Paris, où la facture d’orgues ne semblait présager aucun avenir. De retour dans son pays, il ne trouva point d’ouvrage, si ce n’est quelques menues réparations à faire à de petits orgues. Cependant son goût pour la mécanique lui faisait préférer cet instrument à tout autre ; mais ne trouvant point assez de ressources à Carcassonne, il vint en 1830 s’établir à Montpellier, nourrissant toujours l’espoir de rentrer dans les ateliers de M. Lété qui avait alors de grands projets que firent évanouir les évènements de juillet de cette même année et la mort d’une personne influente. 
Six années se passèrent sans que Moitessier pût parvenir à se faire connaître, ne voulant pas causer le moindre tort à de vieux facteurs à qui l’on confiait le peu de réparations qu’il y avait à faire aux orgues de la contrée. Enfin, en 1836, on lui proposa de relever l’orgue du temple protestant, construit par le grand-père de M. Aristide Cavaillé-Coll. Cette restauration lui valut celle de l’orgue de Saint Fulcran à Lodève (Hérault), fait par Lépine, vers 1750, et en 1837 il eut l’occasion de faire un petit huit pieds pour une chapelle [Visitandines de Montpellier actuellement à Nissan lez Ensérune]. A cette époque, l’impulsion donnée par M. Félix Danjou à la facture d’orgues commençait à se faire sentir jusqu’aux extrémités de la France. Chaque facteur cherchait à se distinguer par quelque amélioration dans son art. M. Moitessier ayant remarqué l’hésitation où l’on était sur le ton auquel il convenait le mieux de mettre les orgues, concilia les diverses opinions en adaptant aux claviers un mécanisme transpositeur analogue à celui que M. Roller avait appliqué aux pianos. 
En 1839, il présenta à l’exposition à Montpellier un orgue de salon, dont les soupapes pouvaient s’enlever à volonté et dont la soufflerie produisait un vent toujours égal au moyen d’un levier compensateur que faisait agir la table supérieure du réservoir. Ce travail fut récompensé d’une médaille d’or, et fit prendre rang à son auteur parmi les facteurs d’orgues. Depuis cette époque, il ouvrit de grands ateliers, qui n’ont point cessé d’occuper vingt ouvriers et souvent plus.
  1. (Extrait de la Biographie des Principaux Facteurs d’Orgues de Hamel, 1848) 

    Les rares instruments de Prosper Moitessier qui nous restent montrent une facture d’un grand raffinement, et cependant avide d’innovation. A l'exposition de l'industrie de Toulouse en 1850, il présente ce qui sera le premier orgue à transmission pneumatique tubulaire. Ce système à dépression est breveté en 1850, et immédiatement appliqué l’orgue de ND la Dalbade à Toulouse. Reconstruit par les Puget en 1888, ceux-ci notaient que le système inventé par Moitessier était très bon sur le principe, et que les problèmes venaient uniquement de l'oxydation des pièces d'étain utilisées. 

    Plus de détails et de photos ici.